TOURISME ET PRESERVATION DE LA GRANDE FORÊT

On ne peut nier que l'impact du tourisme sur des populations primitives peut présenter des aspects négatifs.
De même, il est certain que l'écologie complexe et fragile de la grande forêt pourrait être affectée par un tourisme de masse mal contrôlé.

Il me paraît fondamental de préserver totalement certaines zones en limitant l'accès aux seules autorités et missions scientifiques autorisées, comme cela se fait pour une partie du sud de la Guyane française.

Toutefois, malgré ses défauts, le tourisme me semble la moins destructrice des ''alternatives de développement'', s'il met l'accent sur la découverte écologique et pas sur les activités ''ludiques'' ou prétendument sportives comme les courses de bateaux sur les fleuves ou les ''raids'' motorisés.

Quelles sont les autres alternatives ?
Il s'agit de l'activité minière, de l'exploitation du bois, de l'élevage et de l'agriculture. Toutes ces activités impliquent un déboisement massif, parfois total dans les régions concernées, ainsi que d'importantes contaminations, surtout dans le cas de l'activité minière.
L'agriculture peut être un moindre mal, surtout si elle concerne des espèces plus ou moins ''compatibles ''avec la forêt comme le cacao et le café.

Les projets industriels ou agricoles concernant les zones couvertes par la grande forêt parlent tous d'exploitation ''rationnelle'' et ''nécessaire''.
On peut débattre de la ''nécessité'' d'une telle exploitation…il faut certes faire face à une augmentation rapide de la population, mais les possibilités technologiques du monde actuel permettent le développement sans empiéter sur les régions vierges…L'Amazonie ne contribue qu'à 10 % de l'activité économique du Brésil.
Quant à l'utilisation du mot ''rationnel'', elle relève à la fois du cynisme et de la contre vérité :
Je crois avoir longuement insisté sur l'extrême complexité de l'écologie de la grande forêt et sur la lenteur de sa régénération. Il n'y a pas d'exploitation ''rationnelle''. Toute exploitation aboutit nécessairement à une dégradation partielle ou totale.
La taille des fleuves amazoniens a particulièrement favorisé l'explosion de la biodiversité : ils sont si nombreux et si larges qu'il s'est crée de nombreuses ''îles'' écologiques, de très nombreuses espèces étant incapables ou réticentes à traverser de telles étendues et ayant donc évolué d'une façon isolée.
Le déboisement d'une zone d'une certaine importance signifie à coup sûr l'élimination définitive de ces espèces endémiques.

Le cas des grands barrages, par exemple, est tragique :
J'ai récemment effectué une campagne de pêche sur le lac du barrage de Guri au Venezuela, qui fut à une certaine époque le plus grand du monde. A cause des extrêmes conditions de sécheresse ayant régné ces derniers temps, j'ai eu sous les yeux un déprimant spectacle de désolation. J'ai navigué pendant des heures sur une véritable mer d'arbres morts, témoins sinistres de la forêt qui a été inondée pour la mise en eau. Le barrage fait 150 km de long sur plus de 50 km de large. Combien d'espèces de plantes, insectes, batraciens ou reptiles ont elles été éliminées par une destruction d'une telle ampleur ?

Ce qui rend presque risible ce désolant constat, c'est que le Venezuela et le Brésil connaissent actuellement d'énormes problèmes avec leurs barrages, en raison des années de sécheresse exceptionnelle qui a abaissé considérablement le niveau des retenues.
S'agirait -il d'une juste revanche de la nature ?

Il faut dire que les grands projets écologiques sont souvent perçus, s'ils trouvent leur origine dans l'action d'une organisation étrangère, comme des manifestations de néocolonialisme larvé et une manière détournée et sournoise de limiter l'accès à d'énormes ressources potentielles.

Même les projets scientifiques anodins peuvent paraître suspects : des amis chercheurs qui effectuaient des observations sur les singes dans le sud du Venezuela ont ainsi été expulsés par la Garde Nationale, sur plainte des villageois qui prétendaient qu'il était invraisemblable de dédier tant de temps et de moyens simplement pour étudier les singes, et que mes amis devaient pratiquer une activité minière illégale ! Ils sont toutefois revenus, les autorités ayant du reconnaître leur erreur….

A l'heure ou j'écris ces mots, le parlement brésilien s'apprête à statuer sur un projet de loi visant à accorder des permis d'exploitation forestière sur un territoire actuellement protégé, couvrant une surface équivalente à trois fois la superficie du Portugal….

Inutile de vous dire que je croise les doigts !!!