LE CONTACT AVEC LES POPULATIONS AMERINDIENNES

Il reste très peu de purs chasseurs/cueilleurs, c'est à dire en langage anthropologique, des populations non sédentarisées vivant uniquement de la chasse, de la pêche et de la collecte de fruits sauvages et de plantes sylvestres.
Pour la très grande majorité des Indiens, l'agriculture fournit aujourd'hui la base de l'alimentation, le complément étant apporté par la chasse et la pêche.

Les Amérindiens cultivent de petites portions de terrain prises sur la forêt selon le principe de la culture sur brûlis,'' slash and burn '' en anglais : pendant la saison sèche, une étendue de forêt est défrichée puis brûlée, les plantes semées profiteront de l'arrivée de la saison des pluies pour se développer.

Pourquoi brûler ?
Les forêts d'Amérique centrale et du sud poussent souvent sur des sols pauvres et acides. Le principe du brûlis permet d'apporter au sol les éléments basiques nécessaires.
Les plantes cultivées sont principalement le manioc, la canne à sucre, les ananas et les bananiers.
Le manioc (manihot esculata) est particulièrement adapté aux sols pauvres et acides. Plus le sol est pauvre plus la plante est chargée d'acide prussique contenant du cyanure. Dans la logique de ce que j'ai développé plus haut concernant les sols blancs, la vie de la plante étant plus difficile, elle se protège davantage contre les prédateurs.

Le jus du manioc est très toxique et doit être extrait pour permettre sa consommation.

Ces sols pauvres s'épuisent rapidement. Une étude a démontré que le rendement à l'hectare la 3éme année ne représentait que 45 % du rendement de la première année.

De nouveaux terrains doivent être ainsi défrichés constamment.

Les populations étant traditionnellement réduites, l'impact sur la forêt est négligeable, mais les Indiens doivent fréquemment déplacer leurs villages, ce qui explique leur mode de vie semi-nomade.

Les Amérindiens sont experts à tirer profit des ressources de la grande forêt.
Un exemple : l'utilisation du palmier ''moriche''(mauritia flexuosa) par les Indiens Warao du Delta de l'Orénoque :
Les palmes servent à couvrir les toits
Les fruits sont comestibles
Les fibres servent à faire de superbes hamacs
Dans un tronc abattu, se développent les larves d'un insecte qui font le délice des indiens (consommées crues, elles ont un goût de beurre)
Des ouvertures sont effectuées dans le tronc sur le sol. L'eau de pluie s'y accumule et fermente, donnant une boisson alcoolisée !

Les villages indiens ne comportent généralement que quelques familles. Une communauté de 50 personnes est considérée comme importante.
Grâce à l'assistance médicale cependant, leur population est en très forte augmentation dans certaines zones. La pression sur la chasse et la pêche y est de plus en plus importante, les Indiens sont parfois obligés de faire de très longues heures de pirogue pour trouver du gibier. Ils abusent souvent de l'utilisation de la nivraie, une liane qui contient des éléments qui empêchent la respiration des poissons, les obligeant à remonter à la surface où ils sont facilement ''cueillis'.

Le surplus de population doit émigrer dans les communautés créoles les plus proches où ils finissent par s'assimiler, perdre leur identité et souvent se clochardiser.

L'augmentation de la densité de population dans la grande forêt brise l'équilibre que maintenait la culture sur brûlis traditionnelle. De plus en plus de zones doivent être défrichées, d'une surface de plus en plus importante.
Sur les sols les plus pauvres, si la végétation est éliminée sur une grande échelle, les pluies enlèvent rapidement la mince couche fertile et on obtient un socle stérile sur lequel ne pousseront que des graminées et de maigres arbustes.
Les pluies et la chaleur favorisent la formation d'oxydes de fer et d'aluminium, donnant à ces sols la couleur rouge caractéristique de la '' latérite''….

Ne vous attendez pas, surtout dans le cadre d'excursions de quelques jours, à rencontrer des populations vierges de tout contact... les Indiens que vous rencontrerez sont habitués au contact avec les touristes, en vivent parfois d'ailleurs. Vous verrez les jeunes arborer fièrement un tee-shirt de football ou un Walkman dernier cri. Les adultes possèdent des pirogues à moteur et chassent au fusil. Mais à part ces petits détails, leur mode de vie est resté le même. Et c'est ce qui compte pour la préservation de leur culture.

Dans le cadre des réflexions intéressantes que j'ai pu entendre, un monsieur m'a un jour fait part de sa déception de ne pas avoir vu de ''vrais'' Indiens!!! Un vrai Français porte t'il toujours un béret et un vrai Anglais un chapeau melon ?
Les Indiens les plus occidentalisés font régulièrement des fêtes traditionnelles où ils mettent leurs plus belles plumes et peintures et dansent selon les rites ancestraux. Les étrangers ne sont généralement pas invités, mais vous pouvez bien tomber.
Si vous avez la chance de pouvoir voyager dans des zones plus reculées de la grande forêt, vous rencontrerez peut-être des populations beaucoup plus primitives.
Presque chaque année en Amazonie, sont découvertes des communautés n'ayant jamais eu de contact avec le monde ''civilisé''. Elles sont extrêmement vulnérables et devraient être, selon moi, systématiquement protégées et leur accès sinon interdit, du moins sévèrement limité.

Même vis à vis d'Amérindiens habitués au contact avec les touristes, il y a des règles de bienséance élémentaires à respecter.

Tout d'abord, rien n'est pire selon moi que la pitié condescendante (oh, les pauvres !)
Certaines personnes ont tendance à confondre bonheur et richesse matérielle. Si les Indiens ne possèdent généralement pratiquement rien, rien ne permet d'affirmer qu'ils ne sont pas heureux. On vit bien en forêt, la nourriture est abondante, la liberté extraordinaire, le stress est une notion inconnue. Les Indiens sont pauvres matériellement, certes, mais certainement moins misérables que les habitants des bidonvilles et autres ''favellas'' des grandes agglomérations.

J'étais un jour avec un groupe dans un village ye'kwana du sud du Venezuela quand nous avons eu la chance de rencontrer un missionnaire français vivant avec les Indiens depuis 37 ans. Quand une dame lui demanda ''qu'est ce que cela vous fait, mon Père, quand vous retournez dans la civilisation '' - il lui répondit d'un air amusé : ''Madame, le mot civilisation se conjugue au pluriel et pas au singulier''.
Les wayanas de Guyane ont plusieurs dizaines de noms différents pour qualifier une guêpe.
Je connais personnellement un chef ye'kwana du Venezuela capable d'identifier dans sa langue plus de 350 espèces d'arbres et de plantes. Une amie botaniste qui a longuement travaillé a vec lui était émerveillée.
ça aussi, c'est de la culture...

Plus une civilisation est primitive, plus elle est structurée et hiérarchisée et plus elle impose à ses membres de strictes règles de comportement...
Bien que les Indiens soient bien conscients que ces règles ne s'appliquent pas aux visiteurs étrangers, il convient d'éviter certains comportements susceptibles de les gêner ou de les choquer :
Les Amérindiens sont en général calmes, silencieux et plutôt introvertis. Ils peuvent ressentir les comportements bruyants et exubérants comme un envahissement.
Ils ont horreur d'être pressés et brusques pour prendre des décisions. Le processus décisionnel chez eux est lent et repose sur une large consultation. Si on vous dit ''non'', n'insistez pas lourdement.
Vous pouvez faire des gaffes sans le savoir : par exemple, dans certaines tribus, demander à s'adresser directement au chef ou à s'entretenir avec le sorcier peut être une entorse au protocole, surtout de la part d'une femme.
Evitez les excentricités et les familiarités et ne vous baignez pas nus ou à moitié devant eux (de plus la présence éventuelle du candiru est une bonne raison pour éviter de le faire !). Les Amérindiens sont extrêmement pudiques. Ne les interrogez pas non plus sur leur vie intime.
Ne les mettez pas, même par jeu, dans des situations où ils sont susceptibles de perdre la face. Vous ne vous ferez pas des amis ainsi…

Les photos sont une question délicate : il faut toujours demander la permission aux villageois, même si vous ne photographiez pas directement les gens. S'ils refusent ne prenez pas de photos à la sauvette derrière leur dos... (j'ai l'air d'énoncer des évidences mais je peux vous assurer que mon expérience m'a prouvé le contraire, hélas !)
La pratique malheureusement répandue de payer les gens pour les photographier me parait moralement douteuse.
Le long du fleuve Maroni, entre la Guyane française et le Surinam vivent des populations noires d'origine africaine. Il s'agit de noirs ''marrons'', c'est à dire d'anciens esclaves échappés des plantations de l'ex Guyane hollandaise au début du 19ème siècle. Ils ont conservé de nombreuses caractéristiques ancestrales. Les Boni, Djuka et autre Saramaka ont en commun une profonde aversion pour les photos. Ils mettent même des panneaux pour avertir les touristes de ne pas en prendre. Attention, ils sont bâtis comme des hercules ! J'ai vu un jour un contrevenant prendre une bonne raclée......

A votre arrivée dans une communauté amérindienne, on vous offrira peut être le ''cachiri'', boisson peu alcoolisée faite de manioc fermenté (d'autres tubercules sont parfois utilisés). L'aspect est jaunâtre, grumeleux, peu ragoûtant. Quant au goût, il faut avoir des générations d'ancêtres amérindiens pour aimer ca, réellement. Pour corser le tout, dans certaines tribus (pas toutes heureusement) les femmes crachent dans la préparation pour accélérer la fermentation.
Cependant, il est grossier de refuser. Vous pouvez toutefois demander à ce qu'on vous en serve une petite quantité. Ne prenez pas un air ostensiblement dégoûté. Trempez vos lèvres ou avalez une petite gorgée, et faites un grand sourire (pas trop grand tout de même sinon vous aurez droit à une deuxième rasade !).

S'ils vous offrent de partager leur repas (c'est rare), ne vous attendez pas à une inoubliable expérience gastronomique. Les Indiens n'aiment la viande qu'à peu près carbonisée, et n'hésiteront pas à faire bouillir ensemble un poisson et une pièce de gibier…
Les Indiens pemons du sud du Venezuela considèrent les fourmis grillées comme un plat de choix. Il s'agit de gros reproducteurs ailés du genre atta, la fourmi coupeuse de feuilles. A vrai dire, ce n'est pas mauvais, un arrière goût de cacahuète...

ATTENTION A L'ALCOOL QUE VOUS AMENEZ DANS LES VILLAGES !
Si vous devez dormir dans une communauté, ne donnez pas d'alcool aux indiens, surtout du rhum.
Les Amérindiens les plus doux deviennent pénibles et souvent violents sous les effets de l'alcool. ( Ils ne sont pas les seuls, je vous le concède !).Ne buvez pas ostensiblement et ne laissez pas les bouteilles en évidence.
Ceci est également valable pour vos nuits dans les villages créoles.

Autre sujet délicat, les cadeaux. J'ai vu des gens arriver avec des sacs remplis de vieux vêtements et les distribuer aux indiens.
Sachez que le don gratuit n'existe pas dans les sociétés primitives. Il doit toujours s'accompagner d'un contre don. Il faut toujours exiger une contrepartie sinon il n'y a pas d'équilibre dans la transaction.
Sachez également que vous n'obtiendrez pas la gratitude et encore moins l'estime des indiens en agissant de la sorte : ils considèrent souvent que votre cadeau est un du qui est la conséquence d'une obligation virtuelle que vous auriez contractée à leur égard.
Une fois, j'ai voulu faire plaisir à un piroguier qui avait bien travaillé et je lui ai offert ma lampe frontale. Il était furieux. Il voulait la lampe ET le matériel de pêche !

Préférez toujours faire des échanges pour ne pas créer des situations de dépendance et des comportements de mendicité. Il y a toujours des choses intéressantes à échanger dans les villages : Artisanat, arcs, sarbacanes, etc. Mais choisissez des objets qui leur plaisent, pas des fonds de tiroir... Les Indiens adorent en général tout ce qui est couteaux, lampes, et tout ce qui a trait à la pêche et à la chasse.
La très grande majorité des Amérindiens utilisent l'argent pour acheter de l'essence, des cartouches, etc.
Une bonne façon de les aider est de leur acheter leur artisanat, s'ils en vendent.
Vous pouvez bien entendu amener des bonbons pour les enfants mais choisissez les sans emballage sinon vous allez retrouver les papiers disséminés partout dans le village !

Autre chose, ne demandez pas l'impossible du contact avec les Indiens. Certaines agences font de la ''rencontre de l'autre '' un argument de vente... C'est un concept assez naïf pour ne pas dire niais, si on l'applique aux Amérindiens…
Ce sont des gens passionnants mais secrets et introvertis qui ne raconteront certainement pas leur vie à un touriste passant deux heures dans leur village. Il faut des années pour se faire accepter d'eux.
Le missionnaire dont je vous ai parlé plus haut m'a dit que lorsqu'il est arrivé avec les autres membres de sa congrégation, ils se sont mis à l'écart du village et ont étudié les Indiens pendant 5 ans avant d'entamer leur mission….5 ANS !

Il me semble qu'on est passé des excès des missions civilisatrices et évangélisatrices aux excès des missions humanitaires ! Les phénomènes d'acculturation doivent s'analyser à moyen et long terme...
Par exemple, vous aurez l'impression de faire une bonne action en apportant des médicaments aux Indiens. Mais sachez que le résultat de la multiplication de ce genre d'action amène les Indiens à abandonner et finalement oublier leur pharmacopée traditionnelle pourtant souvent très efficace. Il est nettement plus facile pour eux de demander un médicament au dispensaire que de passer de longues heures dans la forêt à chercher une racine par exemple...
Si le dispensaire disparaît, ils seront incapables de se soigner.

On peut aider à court terme et détruire à long terme, j'imagine qu'il s'agit d'un problème moral qui dépend de la conscience de chacun de nous.

J'ai personnellement toujours beaucoup de plaisir à fréquenter les Amérindiens. Pour un passionné de la grande forêt, ils sont une source intarissable d'informations passionnantes. Je me suis fait chez eux des amis sincères.
Cependant, si j'ai le choix, je préfère éviter de passer la nuit dans les villages. Je crois qu'il vaut toujours mieux faire un bivouac dans la forêt, un peu à l'écart.
Les concerts nocturnes d'aboiement de chiens sont relayés au petit matin par ceux des coqs et autres volatiles domestiques.
Leur conception de l'hygiène est souvent assez différente de la nôtre, et c'est le moins que l'on puisse dire. J'ai récemment fait une expédition au sud du Venezuela au cours de laquelle nous avons dormi dans un village sanema, un sous-groupe des Indiens Yanomami. Comme dans la plupart des tribus, il y a une hutte centrale commune dans laquelle on reçoit les visiteurs et qui sert également aux fêtes et autres réunions tribales. Les Sanema ont pratiquement en permanence une chique de tabac qu'ils placent sous leur lèvre inférieure. Cette ragoûtante pratique les amène à cracher en permanence, partout, à l'intérieur des huttes, éventuellement sur vos pieds. Pendant que je préparais le dîner, il devait y avoir une cinquantaine d'Indiens autour de nous, crachant à peu près toutes les 30 secondes.
ça nous a un peu coupé l'appétit, je dois dire...Les Sanema souffrent de plus très fréquemment de tuberculose.

Attendez-vous à avoir en permanence un nombreux public d'enfants, y compris pour les actes les plus intimes de la vie de tous les jours.
Enfin et surtout j'ai toujours été personnellement gêné par les grands déballements de matériel et de nourriture en face de gens qui ne possèdent à peu près rien…

Dans les communautés qui accueillent régulièrement des touristes, les Indiens eux-mêmes conscients de ces petits désagréments construisent fréquemment une hutte spéciale a l'écart pour les visiteurs étrangers.